« Gengis Khan n’est plus
seulement le conquérant, le péril inconnu. Il est l’un d’entre nous, il
m’échappe. Il entre avec ses compagnons dans le grand théâtre du monde où
l’arc-en-ciel habite l’orage. » (Henry Bauchau, 1959) Synopsis : La
pièce se déroule en 8 tableaux. Elle s’ouvre sur la rencontre entre Timour et
Témoudjin, prisonnier évadé, dépourvu de tout ; dans le regard de
Timour, Témoudjin découvre son destin : sortir les
Mongols, « peuple sans loi, sans guide et presque désarmé »,
de l’humiliation et de la misère, étendre la steppe à l’infini... Des années
après, il unifie les tribus mongoles (Tableau 2), et dirige la « flèche
mongole » sur la Chine du Nord qu’il conquiert (Tableau 3). Mais la
réalité des hommes, incarnée par l’infatigable paysan chinois, lui
résiste (Tableau 4) : au lieu de raser la Chine, comme le veut son
armée, il s’en fait le protecteur, renonçant au massacre barbare et
s’éloignant dès lors de son rêve de nomade. Après la mort de Timour, Gengis
Khan sombre dans le désespoir (Tableau 5) puis renaît pour diriger ses
troupes sur la Perse. Il entre à cheval dans la mosquée de Samarkand (T6) où
il défie Dieu ; mais, désormais coupé du monde par la terreur et la
haine qu’il inspire, il échoue à séduire le peuple perse. Seule le jeune
Choulane va vers lui ; mais leur amour ne résistera pas au fossé qui
sépare le vainqueur du vaincu, la steppe de l’oasis (T7). Des années après,
il meurt (T8), paralysé mais toujours capable de tuer, en abandonnant son
projet à son petit-fils, Koubilaï, qui, insensible à l’appel de l’Ouest, déjà
coupé du monde de la steppe, tournera ses regards vers la Chine intérieure. Eric PELLET |
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Gengis KhanDe Henry Bauchau « TCHELOU T’SAï. (...) Est-ce toi,
Gengis Khan, qui as agrandi lemonde… GENGIS KHAN (avec peine). Ou le monde qui a
agrandi Gengis Khan ? » (H. Bauchau, Gengis
Khan, 8e Tableau, sc. 6) Présentation : Œuvre de poète, Gengis Khan est traversé par le
souffle de l’épopée. Réunissant plus de 30 personnages sur une durée de 40
ans, embrassant l’Asie, des steppes de Mongolie à la Perse de Samarkand en
passant par Pékin, la pièce d’Henri Bauchau retrace le destin d’un homme à
l’énergie formidable : Témoudjin, obscur nomade mongol, qui deviendra
Gengis Khan, et mourra à la tête d’un empire pacifié de la Corée à l’Ukraine.
Gengis Kahn n’est pas un héros
tragique : il n’est pas soumis à la fatalité, il est lui-même la
fatalité. Sur sa trajectoire, des mondes s’écroulent ; dans son sillage,
des vies se brisent ou se transforment : c’est le sage Timour, le
premier ami, l’ater ego mongol, que sa fidélité sans borne conduira à la
mort ; c’est le Roi d’Or, anéanti par la terrifiante brutalité du Mongol
et qui sombre dans la folie ; c’est Choulane, la jeune femme perse, la
femme aimée, qui ira au sacrifice, déchirée entre son amour et ses
racines ; c’est Tchélou T’saï, enfin, le demi-chinois, « ministre
de l’arc-en-ciel », le bras droit successeur de Timour, qui en
choisissant de servir Gengis Khan fera entrer la lumière chinoise dans
l’ombre mongole, et retournera la puissance destructrice du barbare en force régénérante
et pacificatrice. m’échappe. Il entre avec ses compagnons dans le grand théâtre du
monde où l’arc-en-ciel habite) |
Mon désir de monter Gengis Khan d’Henry Bauchau est le fruit d’une lente maturation : tout a commencé pour moi par la rencontre de son œuvre romanesque (La Déchirure, Œdipe sur la route, Antigone…) : la beauté de son écriture, l’humanité profonde de ses personnages mythiques, l’atemporalité de ses thèmes, tout m’a séduit dans son œuvre. C’est à partir de là que j’ai découvert émerveillé sa pièce, presque oubliée : Gengis Khan. L’envie de la monter ne m’a pas quitté depuis : après avoir mis en scène avec l’ATE plusieurs adaptations de textes narratifs, je ressentais depuis quelques temps l’envie de revenir à des textes d’auteurs, écrits pour le théâtre ; et c’est au sortir de mon expérience d’acteur stagiaire au Théâtre du Soleil que j’ai résolu de me lancer dans ce projet qui mobilise désormais toute mon énergie. Notre rencontre, émouvante et passionnante, avec l’auteur, âgé aujourd’hui de 90 ans, nous a renforcé dans notre détermination. Les raisons de monter Gengis Khan en 2004 ne manquent pas : c’est d’abord une œuvre de poète, écrite dans une magnifique langue classique, portée par le souffle de l’épopée ; c’est également une pièce aux potentialités scéniques passionnantes (la rencontre sur scène de la steppe mongole, de la Chine et de la Perse du 13e siècle, où le plus « exotique » des personnages sera finalement Nicola Polo, figure saugrenue d’un occident lointain …) ; c’est enfin un texte qui concentrent les principales interrogations du XXe siècle : la violence comme réponse à l’humiliation, le choc des cultures, la rencontre conflictuelle entre le « barbare » et le « civilisé », l’écart tragique entre l’homme et le mythe qu’il suscite… autant de questions qui continuent de hanter notre XXIe siècle commençant. Achevée en 1955, la pièce n’a assurément pas encore rencontré son public ; Gengis Khan ne sera monté que 2 fois : par une A. Mnouchkine encore inconnue, qui crée la pièce pour six représentations en 1960, et par J. C. Drouot en 1987. Monter Gengis Khan, c’est donc aussi pour moi rendre justice de son vivant à un grand poète, qui nous a confié que l’échec de Gengis Khan l’avait conduit à renoncer à une carrière de dramaturge qu’il pensait devoir être la sienne. Certes, le passage au roman, qui a résulté de cette déception, nous a valu plusieurs chefs d’œuvre traduits maintenant dans le monde entier, mais il nous semble qu’il est temps de montrer que cette quête de l’humain au-delà du mythe, caractéristique de sa trilogie narrative (Œdipe sur la route, Diotime et les lions, Antigone), imprègne aussi son œuvre théâtrale. Autour de ce projet dont chacun reconnaît le caractère ambitieux, surtout dans la conjoncture actuelle, j’ai réussi à constituer une équipe solidaire d’une vingtaine de personnes dont quatorze jeunes acteurs professionnels ; les répétitions ont commencé, l’écriture de la musique originale est en cours, la scénographie s’élabore autour du peintre Ye Xin, et plusieurs directeurs de salles ont manifesté un réel intérêt, mais il me manque encore le soutien ferme d’un acteur institutionnel. Certains lieux de théâtre sont activement engagés dans le travail de réhabilitation des auteurs : le Gengis Khan du Théâtre de l’Estrade n’a d’autre but que celui-ci, servir un beau texte et contribuer à sa redécouverte, cinquante après son écriture. Benoît WEILER
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Qui
est Henry Bauchau ?
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Poète,
romancier, dramaturge, psychanalyste, Henry Bauchau est né en 1913 à Malines
(Belgique). Dans les années 30, il étudie le droit à Louvain, vit une crise
religieuse, lit les mystiques. Pendant la guerre, il s’engage dans le maquis
des Ardennes où il est blessé, puis soigné à Londres. Après
guerre, il fonde une maison d’édition à Bruxelles, puis à Paris. Confronté à
de multiples difficultés, il commence une psychanalyse avec Blanche
Reverchon-Jouve, la femme du poète Pierre-Jean Jouve. Installé en Suisse, il
crée un collège international, fait la connaissance de P . Jacottet et
publie ses premiers poèmes, qui seront rassemblés sous le titre Géologie (1958). C’est à un moment
critique de son analyse qu’il écrit Gengis
Khan ; achevée en 1955, la pièce est publiée en 1960 et montée
par Ariane Mnouchkine en 1961 à Paris. Tout en poursuivant son œuvre
poétique, La Pierre sans Chagrin
(1966), La Dogana (1967), il
rencontre son public avec ses premiers romans : La déchirure (1966), Le
régiment noir (1972). Passionné par la Révolution chinoise, il publie La Chine intérieure (poèmes, 1975)
et s’attelle à un volumineux Essai sur la vie de Mao Zedong
(1982). A partir de 1975, psychanalyste, il travaille à Paris auprès
d’enfants psychotiques. Son recueil Poésie
1950-1986 lui vaut le Prix de la Société des gens de Lettres. Il
connaît la consécration internationale dans les années 90 avec sa trilogie
consacrée au mythe d’Œdipe : Œdipe
sur la route (1990), Diotime
et les lions (1991), Antigone
(1997), romans traduits dans toute l’Europe, aux USA, en Chine et au Japon. Henry
Bauchau vit à Paris et continue, à 90 ans, de publier poèmes et romans. |
Notes de mise en scène
Gengis Khan est avant tout l’œuvre d’un poète. A l’origine de notre désir de faire connaître au public cette œuvre méconnue, il y a d’abord l’émotion suscitée par la beauté d’une langue, par sa cadence, par la force de ses images. Nous demanderons aux comédiens de restituer, sans maniérisme, la beauté sonore de la prose poétique de Bauchau, et la mise en scène restera au service du texte. Il y a également la surprise provoquée par la découverte d’un texte, qui, en plein 20e siècle, interroge les mythes sans s’abriter derrière l’ironie, et qui, dans le mythe, cherche l’homme, cet être de lumière contenant sa part d’ombre, où coexistent l’amour et la violence, et dont les motivations profondes échappent toujours. Le jeu des acteurs visera à tenir cette double tension de la violence et de l’amour, au cœur de l’humain.
Le Gengis Khan d’Henry Bauchau monté par le Théâtre de l’Estrade ne sera pas une fresque historique, une tentative de restitution réaliste d’une quelconque vérité sur le personnage historique… La mise en scène mettra l’accent sur le travail du chœur, relais des pulsions et des contradictions des personnages, incarnation sur scène des différents peuples : guerriers mongols, paysans chinois, peuple perse. Le chœur donnera à chaque tableau son rythme et sa tonalité propre : galops et cavalcades des Mongols, mélopées incantatoires des Perses… Sur scène, deux musiciens accompagneront tout au long de la pièce les personnages et le chœur. Certains moments lyriques (transe prophétique de Temoudjin, enthousiasme des Mongols à l’énoncé de la Loi, récit de Djébé…) seront dansés, la gestuelle s’inspirant de danses traditionnelles mongoles. Geoffrey DUGAS, déjà présent lors de la dernière création du Théâtre de l’Estrade, composera avec son équipe la musique originale du spectacle.
Pour la scénographie, nous avons fait appel au peintre calligraphe Ye Xin, artiste mandchoue, qui expose actuellement au Musée Guimet dans le cadre de l’exposition Confucius. La scène, dénudée, comprendra seulement des tapis et une estrade, et très peu d’objets réalistes. La calligraphie, autant que le dessin, notamment pour les parties chinoises et perses, constituera la toile de fond de la geste de Gengis Khan, forêt de signes et d’expressions projetés sur des tableaux suspendus, fixes ou mobiles. Pour cela, nous aurons recours à la vidéo, utilisée tantôt comme supplétif du décor, tantôt comme regard isolant une expression ou un détail. Les costumes, dessinés par Ye Xin, seront stylisés tout en s’inspirant des traditions mongoles, chinoises et perses. La diversité des couleurs (brun et vert de la steppe, rouge et or de la Chine, bleu de Samarkand) fera écho à la diversité des sonorités et des rythmes ; les contrastes, les jeux d’ombre et de lumière traduiront la confrontation entre le barbare et le civilisé, entre le rêve et la réalité, entre la pulsion de l’inconscient et les limites que le conscient lui impose.
Distribution
Les répétitions en photos...
Une lecture de Gengis Khan au théâtre du Rond-Point à Paris
( mars 2004 )